samedi 22 septembre 2007

Sur la technique: on ne change celle des Anciens qu'à lui être fidèle


"La technique doit être dominée". Saura.

La technique mixte, que souvent j'emploie supporte cette définition: superposition, juxtaposition ou mélange de techniques peu compatibles; on utilisera, par exemple, dans la réalisation d'un tableau, ces matières:

- laque, encre, aquarelle, gouache, acrylique, oeuf aussi ou tempera (procédés à l'eau);
- colle, principalement, colle de peau de lapin chauffée;
- pigments* travaillés à sec, par dispersion ou saupoudrage sur couche humide (huile, colle, gomme arabique, fiel de boeuf...) ou préparés en broyage, avec le liant approprié;
- huile;
- sable, sciure de bois...

Produire des effets impossibles, utiliser la matière comme moyen d'expression en jouant sur les transparences, les opacités, les épaisseurs, les réserves - telle est la fin de cette technique.

Par exemple, les séries "Atlantiques", "Automne", certaines figures aussi, sont réalisées toutes avec les moyens suivants:

- dessin, ou ébauche: au feutre ou à la mine de plomb;
- esquisse et première couche de fond: laque, encre de Chine, gouache ou acrylique;
- deuxième couche: couleurs à l'huile (ocres, bleus de Delft, laque de garance, jaune orangé, rouge écarlate et noir), en faible quantité, malaxées avec du medium d'empâtement;
- couches finales: huiles et résines alkyde (pour médium) étalées et travaillées au couteau, à la main, au chiffon, à l'"arraché".

Pour "Automne" et quelques figures, des couleurs or, en deuxième couche ou en couche finale, sont ajoutées.

Quant aux fonds, sauf si l'on souhaite utiliser le blanc de la toile, ils sont absolument nécessaires et, dans tous les cas, doivent être "maigres": à l'eau, à l'essence... De leur maigreur dépend la survie du tableau.

Pour les outils ils varieront bien sûr selon qu'on utilise l'huile ou l'eau.

A l'huile conviennent des brosses rondes ou plates, en soie de porc, de dimensions variables; des pinceaux (pour les rehauts, quelques touches finales) en poils de martre. Les truelles ou couteaux, aussi diverses que soient leurs tailles, auront toujours un manche en bois; la qualité de l'acier est fondamentale: de l'élasticité, de la souplesse alliées à la rigidité naturelle du métal.

A l'eau, des pinceaux à lavis, en poils doux (écureuil, petit gris) sur manche de bambou, ou autre bois léger - la virolle en vraie plume d'oie.

Pour les premières couches, en larges aplats, j'use volontiers des pinceaux, mais très rarement pour les couches finales (sinon en brosses "sèches", pour les rehauts) : le couteau m'est instrument privilégié en ce qu'il permet, d'abord, directement des mélanges sur la toile; qu'ensuite il autorise soit les empâtements, soit les plus fines transparences - par enlèvement ou grattage; qu'il sculpte enfin la matière colorée, lui donne un éclat et un émail incomparables, tandis que le pinceau creuse des sillons dans la pâte et affadit les couleurs.

Mais de celles-ci il faut peu.

La palette est réduite, et je n'utilise guère que le noir de mars; la laque de garance; un ou deux bleus (outremer, Delft); jaune primaire et jaune de cadmium moyen; rouge vermillon, rouge écarlate; des terres (sienne brûlée, tête morte, et de Casselle); blanc de titane. Les couleurs dérivées que le commerce propose ne me servent qu'à des rehauts de couleur pure, ou à renforcer la valeur, la tonalité d'un mélange (composition des verts, des gris, des mauves, mélanges instables et délicats pour quoi la teinte souhaitée n'est obtenue que d'une grande quantité de couleurs adjointes). Ces verts, ces gris, ces mauves n'existent pas pourtant, tels quels, offerts par le marchand.

Reste ce douloureux problème des peintres modernes, contemporains, peut-être futurs: qu'est-ce qu'une toile qui se conserve? Ma règle s'autorise sans doute d'un temps trop court, mais elle se tire du moins de la leçon des Anciens:

- peindre gras sur maigre: la première couche de couleurs solides, et le médium d'eau ou d'essence;
- pour les couches suivantes: huiles légères et naturellement siccatives (huile de lin clarifiée, huile de lin cuite...), résines (térébenthine de Venise ou résines alkydes). Jamais, en tous cas, le peintre n'usera de siccatif!
- éviter les mélanges mal compatibles (terre naturelle avec pigments azoïques issus de la chimie, par exemple) ;
- pas d'emploi excessif de couleurs notoirement instables, friables ou dévoreuses: noir d'ivoire (craquelures, faible siccativité), blanc de zinc ou blanc d'argent (qui s'oxydent), bleu de Prusse (qui dévore les couleurs voisines et devient gris et friable)...**
- pour les couches finales, la qualité du médium n'est pas moins importante: on utilisera les médiums à l'"ancienne" (flamand ou vénitien);
- le vernis, enfin, s'il doit y en avoir un, sera très léger (à base d'alcool, de préférence);
- plus que tout, il importe de respecter le temps de séchage que chaque couche exige.

Mais tout dépend, il est vrai, du savoir-faire d'un peintre: on peut peindre sans danger frais sur frais, frais sur demi-frais - avec un médium approprié. Si l'on veut, cependant, faire un glacis, le temps de séchage des couches inférieures est strictement commandé (plusieurs semaines, voire plusieurs mois).


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*Poudres colorées naturelles ou artificielles, les pigments sont neutres; si on ajoute un liant gras (huile de lin, par exemple), on a la peinture à l'huile; de la gomme arabique (issue de l'acacia), l'aquarelle; de la gomme de Dammar, la gouache...

** Les catalogues guident, en général, le peintre dans le choix, qui est essentiel, de ses couleurs (origine des pigments, procédé de broyage et nature de son liant, qualité du médium). On doute qu'ils remplacent entièrement l'expérience.


Gilles Cotelle, Peintures (1994-1997),
catalogue d'exposition

3 commentaires:

Anonyme a dit…

On "voit" le peintre dans son atelier : toute cette expérience...cet art et cette envie...

Anonyme a dit…

Appreaciate for the work you have done into the post, it helps clear away some questions I had.

Anonyme a dit…

Hey very nice blog!

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